Plus connue dans le Festival St-Ambroise Fringe de Montréal depuis 2006, Cameryn Moore est une auteure dramaturge et interprète de plusieurs spectacles à caractère érotique dans près de 50 villes à travers la planète, et ne manquant pas d’audace. Cette Américaine originaire de l’Oregon fait sa marque dans le domaine de la sexualité, des relations humaines et des sujets tabous que ce soit sur scène, au téléphone et même dans la rue. Entre son dévouement et l’énergie qu’elle y met, Cameryn — qui se définit à la fois comme une infirmière publique et une éducatrice de sexe — a le souci de venir en aide aux humains notamment aux hommes ayant des désirs sexuels inassouvis afin d’éviter l’irréparable.
Vous avez dit audacieuse ? Cameryn Moore l’est sans conteste ! Ce n’est pas un canon de beauté certes, mais son physique et sa flèche verbale détonnent et ne passent pas inaperçus. Elle est réputée pour exciter les méninges et les parties intimes des femmes et des hommes, même celles des humains les plus insensibles qui existent. Ce personnage hors du commun met un point particulier sur les sujets qui restent jusqu’ici tabous pour certains et approfondit davantage la curiosité pour les autres. L’aisance avec laquelle elle attaquait les non-dits dans ses représentations autobiographiques à l’époque de ses débuts sur scène est restée la même en 2016. Malgré la forte chaleur qui prévaut lors de l’entrevue, elle ne manque pas de dire que son objectif est de susciter des conversations chaudes sur la sexualité, nos sociétés actuelles, l’imagination et sur la condition humaine avec ses beautés et laideurs. Voilà, c’est dit !
L’expertise d’une téléphoniste de ligne érotique
Le talent de faire ou de parler d’une chose d’une façon magistrale n’est possible que si on l’a dans la peau. Cette règle s’applique parfaitement aussi à Cameryn. Avec son regard rieur et sympathique, elle affirme avoir trouvé son terrain propice dans la sexualité. Étant téléphoniste d’une ligne érotique aux États-Unis, elle sait assez de quoi elle parle. C’est à travers sa pièce PhoneWhore — traduit par La pute au téléphone — qu’elle crée un lien indéfectible avec son public. Ce dernier est séduit par le caractère saisissant et troublant de la pièce, la simplicité et l’honnêteté de l’artiste, son ouverture d’esprit, et sa performance inégalable. Les spectateurs en redemandent encore et encore. Elle réussit à mettre en place une véritable connexion, un partage avec ceux qui l’écoutent. S’ensuivent d’excellentes critiques à travers ses tournées y compris un succès au Festival d’Édinbourg qui lui font réaliser le besoin d’élargir son champ d’expertises.
Peu après naîtra alors Nerdfucker, une pièce qui vient briser toutes les barrières de la sexualité en se logeant dans les couloirs des relations amoureuses malsaines. Ici, il est question d’écouter le corps humain et ses désirs enfouis, de les explorer et d’assumer ses choix. Il est tout aussi question d’être capable de connaître les besoins sexuels de son corps en tant que partenaire dans un couple. Le but ultime de cet exercice étant d’abord de savoir rester digne et de résister à l’éventuelle manipulation de l’un des conjoints et ensuite d’écouter les bons vouloir de tout un chacun.
Au-delà de sa vision faite à la pièce de théâtre, elle reprend ces mêmes paroles pour les coller à la vie réelle surtout à ces nombreuses personnes en couple ayant la soif incomplète de la fantaisie. Mais attention, ce n’est pas une tâche qui s’exécute aussi facilement puisque c’est Cameryn qui s’occupe, à ce moment-là, des célibataires ou de ces hommes dont les désirs sexuels ne sont pas exprimés ou bienvenus auprès de leurs épouses ou copines. Grâce à une conversation tenue à travers son téléphone rose ou sur la place publique, elle arrive à leur faire goûter un morceau de son ciel.
Cameryn ou une sorte de quiétude sexuelle et spirituelle
Se soucier d’aider des personnes dans leur démarche d’expression sexuelle demande d’endosser certaines qualités telles qu’une grande écoute, de la patience, de la tolérance et de la diplomatie comme c’est le cas pour une travailleuse sociale. Et qu’en est-il pour Cameryn ? Pareil ! Elle dit maintes fois vouloir éviter des déviances dans la société en donnant du plaisir à ceux qui en manquent. Qu’il ne s’agit pas de donner la lune à ces personnes mais d’éviter que certains hommes instables ne commettent l’irréparable en commettant des agressions sexuelles sur des enfants, des inconnues ou leur partenaire. Et puisque sa tâche consiste à adapter ses paroles et écrits aux demandes de personnes dont la libido et les fantasmes auraient des insatisfactions, deux possibilités s’offrent donc à cette délicate mission.
La première : dans un milieu public ambiant lors de ses tournées, sont confortablement installés une petite table, une vieille machine à écrire ainsi qu’un minuscule banc sur lequel est assise Cameryn, l’air coquine dans ses bottes de cow-boy et des vêtements ultra colorés. Tout ce décor est dédié aux nombreux passants plus ou moins exigeants, aux ivrognes heureux pour qui la bouteille d’alcool reste le seul compagnon et à ces conjoints dont l’appétit sexuel se trouve en déséquilibre avec celle de la partenaire. Pour ceux-là, un petit texte érotique, rédigé en fonction de leurs désirs en quelques minutes par la dramaturge, parvient agréablement à faire des heureux.
Venons-en à présent à la deuxième option, celle-ci se déroule même dans l’entreprise de ligne érotique américaine où travaille à distance cette artiste. Cependant, même si cet emploi est superbement rémunéré et flexible comme elle le dit si bien, il faut croire qu’elle aime vraiment ce qu’elle fait et quel dévouement ! Car au téléphone, elle s’occupe en grande partie de cas lourds que ses collègues téléphonistes n’osent pas traiter. Mais toujours dans le souci de ne pas juger ces auditeurs, elle se met dans un état d’écoute attentive et généreuse. C’est pour cette raison que plusieurs clients affectionnent sa voix suave et sensuelle lorsqu’elle explore les profondeurs de la sexualité, du désir, de l’amour et des relations amoureuses avec eux.

Les clients de conversations érotiques ont des goûts divers et ondoyants. Toutes leurs demandes, aussi uniques les unes que les autres expriment souvent un mal-être qui les ronge. Leurs portraits prennent des allures assez variés : des hommes qui ont des envies de parler de leur érection avec une téléphoniste ayant une voix mature comme Cameryn, jusqu’à ceux qui ne veulent rien d’autre qu’une voix dominante et autoritaire, en passant par des clients dont l’érection et la jouissance ne viendrait qu’après avoir jasé avec une téléphoniste Shemale (transsexuelle partielle), ou même ceux dont les conjointes sont sans cesse occupées ou refusent d’explorer une fantaisie sexuelle. Tout y passe.
Cette auteure dramaturge avoue travailler facilement 14 à 18 heures par jour sans se fatiguer. Quand les demandes sont plus farfelues et compliquées, cette auteure adopte une attitude aussi candide et polie comme Adam et Ève avant la chute. Cependant Cameryn Moore n’est pas du tout familière avec le mot chute, car sa construction se fait jour après jour depuis des années avec une liberté de création surprenante.
Un parcours empreint d’expériences multiples
Ce n’est pas de sa faute si elle s’éclate à fond dans ce qu’elle fait aujourd’hui. La faute revient inéluctablement à Big Moves… Ça paraît être le nom d’une chanson, me dites-vous ! …Vous n’êtes pas loin si ça peut consoler. En vérité, Big Moves est selon leur site « la seule compagnie de danse au monde qui offre l’opportunité à toute personne de danser » : les minces, les plus dodues et les tailles extrêmement généreuses. Située à Boston, cette entreprise américaine naît dans les années 2000 et est réservée à toutes les personnes de toutes les tailles existantes, sans distinction aucune. Le véritable coup d’éclat de sa présence à cette institution était son grand intérêt pour l’écriture des dialogues destinés à la comédie musicale.
Évidemment, c’est en étudiant en journalisme de 1997 à 2003 que sa passion pour la rédaction s’est accrue. À défaut de faire de l’écriture journalistique, elle a trouvé son chemin et son style dans l’écriture dramatique.
Semblant accorder peu d’importance à ses innombrables diplômes académiques, Cameryn Moore déclare à ce propos : « En réalité mes diplômes ne m’ont servi à rien. Ils m’ont enseigné beaucoup moins que ce que j’ai appris aux Festivals Fringe » car, justement cette dernière est détentrice d’un baccalauréat en langue et littérature russe, ainsi qu’une maîtrise en administration des arts qu’elle n’a jamais mis en pratique. La quintessence de son oeuvre est le fruit d’un apprentissage confectionné sur le tas à cette série de festivals éclectiques, dont celui de Montréal où pendant un an elle fut artiste en résidence au Théâtre MainLine, promoteur du Fringe montréalais.
Le moment de l’entrevue était très survolté, parce que c’est aussi ça Cameryn. Comment pouvait-il en être autrement ? Cette femme devient sensible et à fleur de peau à la question de savoir si elle croit en l’amour. Toute en larmes, elle répond par la positive. Selon elle, l’amour « c’est la possibilité d’avoir l’espace de tout partager avec quelqu’un qu’on aime et qui nous aime, de partager ce qui est à l’intérieur de soi et d’être meilleur » croit-elle. Pour cette femme au cœur jeune, il est nécessaire d’émettre des choix libres et bénéfiques pour soi surtout lorsqu’on est en présence « des sociétés capitalistes qui cherchent à tout prix à imposer leurs idéaux de beauté aux citoyens. »
Le style de Cameryn s’est imposé au fil du temps. Elle bouleverse certains codes de la bien-pensante et fait croire que chacun doit se sentir libre d’exprimer ses besoins profonds. En créant un espace de dialogue avec ses clients, ses spectateurs et ses interlocuteurs, Cameryn met en place un terrain fertile aux conversations vraies et authentiques liées au désir et à la sexualité de ceux à qui il manque un petit bonheur. L’on aura compris que même si elle dit faire son travail, cette artiste ne change peut-être pas l’humanité, mais pour quelques minutes seulement elle aura changé une vie dans l’espace social.
Quelques pépites sur Cameryn
- Ses auteures préférées : Anne Lamott (romancière Américaine), Mary Frances Kennedy Fisher (écrivaine Américaine).
- Son divertissement favori : Le Festival Fringe.
- Ses mots pour qualifier les Montréalais ? Ouverture d’esprit, belle joie de vivre et intelligence, intégré.
- Selon elle, le plat qui représente le plus le sexe et le désir : plat à base de crème, une sauce crémeuse accompagnée avec des fruits juteux.
- Sa couleur préférée : Rouge, orange, jaune.
- Les mots qui la représentent le plus : le rire, la puissance (celle de changer les choses autour d’elle)
- Son site web : http://www.camerynmoore.com