Élu Président du caucus du Parti québécois à l’unanimité le 16 octobre 2016, le député de la circonscription de Bourget fait partie de l’une des premières minorités au Canada à occuper des fonctions politiques importantes. L’on sait que dans cette ribambelle de fulgurances, il a été entre autres : la première personne de couleur noire issue du Québec, élue député fédéral en 2004 sous l’étiquette du Bloc québécois, et au provincial le premier noir à être nommé ministre de la Culture et des Communications. Âgé de 54 ans, Maka Kotto ou plutôt Léopold-Marcel Maka Kotto originaire de Douala, la capitale économique du Cameroun en Afrique, est un personnage public que le Québec découvre dans les années 90 à travers ses rôles au cinéma ainsi que par son implication dans plusieurs causes et mouvements. Mais connaît-on vraiment ce jeune adolescent qui, jadis à l’âge de 12 ans, « avait déjà choisi ses combats » ? Portrait d’un artiste engagé, brillant, tranquille et discret au-delà des clichés.
« Bonjour Monsieur le député… » « Bonjour Madame la journaliste… ». Dans certains coins du monde, cet échange peut sembler inapprochable, voir impossible pour certains individus et renvoyer un député à un être surhumain et hautain. Pourtant, le temps ne s’est pas arrêté après cet instant de civilité avec Monsieur le député. C’est même une esquisse de ce qu’est Maka Kotto : courtois, sympathique, respectueux, humble, et très disposé pour se dévoiler, à raconter ce qu’il est avec toute la plaisanterie dont on ne le connaît pas forcément. Un exemple frappant de ce trait de caractère est celui de sa métamorphose physique pour le film Lumumba du réalisateur Raoul Peck. Au moment où ce dernier le sollicite pour camper le rôle principal, le futur député de Bourget est svelte. Dix ans après, c’est-à-dire au moment du tournage, il devient assez costaud et voilà que le rôle lui file entre les doigts telles les ailes de poulet un soir de match, car il faut absolument un Lumumba mince. Au final, il joue le personnage de Joseph Kasa-vubu, président du Zaïre (République Démocratique du Congo actuel). Si ce n’est pas un scoop marrant ça !
Originellement, une majeure partie des « enfants d’Afrique » est réputée pour affectionner les combats nobles, l’esthétique, la langue française et l’humour… Ce n’est encore là qu’une hypothèse, mais à la vue du président du caucus du Parti québécois, la règle semble apparemment se confirmer. Cependant, même dans son costume bleu nuit accompagné d’un polo noir, ce personnage politique reste marqué par une enfance où l’on ne perd jamais le sens des priorités et des responsabilités, par son passage éducationnel chez les Jésuites, ainsi que par son goût de la justice et de l’humanisme. Bien sûr, il faut se donner la peine de constater que dans son bureau il n’y a pas de la place pour du superflu. L’on peut y voir rapidement le drapeau du Québec, des journaux, quelques statues africaines, des bouquins, des piles de dossiers et quelques tableaux. Il lui arrive très souvent d’y côtoyer quelques-uns de ses idoles tels Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela, tous les trois sagement illustrés dans un cadre collé au mur. Il serait donc dans la nature des choses que l’héritier de Diane Lemieux et de Camille Laurin – respectivement son prédécesseur et le père de la Chartes de la langue française – ait été investi d’une grande mission et qu’il ait voulu s’approprier l’armure pour effacer les misères du monde qui l’entourent dès le bas-âge.
Sa scolarité au Collège Libermann chez les jésuites français le façonne. N’en doutons pas !
Léopold-Marcel Maka Kotto dont le nom signifie « marquer ses distances » ou « barrière de charbon ardent » grandit dans un environnement très modeste où il est bon d’avoir des convictions, un moyen de s’imprégner des réalités sociales de l’époque. En un sens, ses parents adoptent très tôt une attitude rigide pour sa réussite. Voulant une semence prometteuse pour l’adolescent, son père décide que son niveau maternelle lui sera dispensé à domicile sous le regard pointilleux et quotidien de ses neveux répétiteurs. À l’école primaire, il est inscrit dans l’une des écoles publiques les plus sérieuses à Douala.
« venir en aide aux pauvres et lépreux qui se terrent dans les forêts, leur apporter des vivres et les soigner. »
Arrivé au Collège Libermann à l’âge de 12 ans, le jeune Léopold-Marcel débarque dans un endroit où la rigueur, la foi, l’implication et la fraternité sont la religion. De même, l’adolescent vit et étudie dans ce pensionnat dirigé par les jésuites français. La possibilité de revoir ses parents s’amincit, il les rencontre une seule fois par trimestre. Néanmoins, c’est très peu pour se décourager car il se nourrit dorénavant du savoir de sa nouvelle école.

Là-bas il est entouré de personnes venant de toutes les tribus du Cameroun ainsi que des quatre coins du globe, des gens auxquels il doit désormais s’adapter. On leur apprend à vivre ensemble, à s’accepter malgré leurs différences sur la base de valeurs qu’ils respectent tous. Le socle de toute cette philosophie de vie étant basé sur l’humanisme. Ici, il est aussi question pour les habitants de cet internat de retrousser leurs manches, non seulement pour observer la vie sociale mais également pour en être acteur. En revanche, son séjour dans cette enceinte scolaire ne se résume pas seulement à cela. Il aime son nouvel environnement, surtout ses activités sportives et socio-culturelles. Pour ce qui est du social, le principal exercice au sein du collège est le scoutisme consistant à « venir en aide aux pauvres et lépreux qui se terrent dans les forêts, leur apporter des vivres et les soigner. » Ce feuilleton que se plaisent à faire Maka Kotto et ses camarades scouts est nécessaire pour grandir, comprendre le monde dans lequel ils vivent. Dans cette école, il y existe des façons de se détendre, en l’occurrence le sport et surtout les activités artistiques qui sont une forme d’expression qui conduit à l’engagement.
En France, le sens de l’engagement éclot de plus en plus
C’est un travail ardu que d’affirmer si c’est le pensionnat des jésuites qui a choisi Maka Kotto ou si ce sont les parents de ce dernier qui ont choisi ce collège pour leur progéniture. Car il aurait pu sortir de cette école et continuer tout bonnement son chemin vers ce qu’il aurait entrepris de faire par la suite sans s’engager en politique, mais la vie en a décidé autrement. En effet, lorsque les études secondaires s’achèvent à l’âge de 18 ans, ses parents décident de l’envoyer en France afin d’y poursuivre sa formation. C’était en quelque sorte prévisible car, ayant hérité du Collège Libermann de l’amour de la liberté, du don de l’observation humaine et de la fibre politique, il fallait mieux prolonger ses rêves sous d’autres cieux.
Sérieux ! Quand on naît un 7 décembre 1961 sous le gouvernement d’Amadou Ahidjo, le président de l’époque, et que règnent les « injustices sociales et économiques, la tyrannie et le népotisme », qu’on avait pour autres idoles Patrice Lumumba et Kwame Nkrumah, et qu’au pensionnat vous deviez faire « des cours de français et exercices, des thématiques de poèmes engagés, des textes narrant des injustices ou des histoires liées à mes héros Gandhi, Martin Luther King et Mandela et en débattre sur une base argumentaire », à quoi doit-on s’attendre d’un tel adolescent ? À un éveil politique précoce synonyme d’une action sociale précoce. Aller en France était le bonheur ! Là-bas, il ne tarde pas à multiplier les études diverses : droit, sciences politiques, art dramatique et réalisation cinématographique.
« …mes héros Gandhi, Martin Luther King et Mandela… »
Une fois les études terminées, l’artiste engagé se lance sur la voie de la recherche d’un emploi. En même temps, il a de la difficulté à trouver un travail dans le domaine théâtral ou cinématographique qui ait une once d’idéal social, politique ou culturel. Ce besoin irrésistible de se lancer dans un combat l’amène à créer une stratégie pour l’abolition de l’imagerie négative sur les Noirs à travers le paysage audiovisuel en France avec l’aide d’autres amis. Ainsi naît le mouvement de revendication Cercle Mènès, du nom du fondateur avéré de la grande Égypte. Cette action consistait à prôner le côté lumineux de l’Afrique et à casser « l’image de bananière bamboula » qu’on lui attribuait à la télévision, dans les publicités et au cinéma. Il menait également cette lutte dans le but d’éviter l’incidence de ces images catastrophiques auprès des jeunes. Cette initiative connaît une ascension fulgurante puisqu’elle est épaulée par le ministre de la Culture de l’époque Jack Lang, de même que Pierre Cardin, le célèbre couturier, qui leur offre carrément son théâtre aux Champs-Elysées pour des rencontres publiques.
Ainsi, le jeune Léopold-Marcel Maka Kotto s’assume pleinement dans ces actions. Il a aussi de nombreuses occasions de s’affirmer dans son art et culture, notamment dans plusieurs mises en scène d’œuvres d’auteurs comme Eugène Ionesco, Julius Amédée Laou, Marivaux et Tahar Ben Jelloun. Son curriculum vitae artistique s’allonge également grâce aux films de Claude Lelouch dans Une pour toutes, Robert Favreau dans Un dimanche à Kigali, Raoul Peck dans son célèbre Lumumba, Dany Laferrière dans Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer, André Melançon, etc.
« On apporte en politique ce qu’on est… défendre ce qui est juste et équitable, c’est ma boussole »
« Le Québec se réveilla un matin soudain de cette envie de rire et de tout.
Il se leva un matin de sa léthargie pour déployer ses ailes,
Jusque-là enfermées dans une cage au plafond de laquelle,
S’était accroché ce phare qui inspirait la liberté. » – Maka Kotto
Sans doute l’expression du feu souverainiste qui anime son auteur, signe aussi de la sensibilité de quelqu’un venant d’ailleurs et solidifié par certaines expériences. Cette prose est signée par ce Camerounais d’origine devenu Canadien en 1996, un homme à la voix posée jointe par une allure charismatique. C’est un homme engagé depuis le Collège Libermann qui affirme que la langue de Molière est « une langue très belle et riche » mettant en valeur le langage imagé prononcé à bon escient avec sincérité, à l’instar de « I Have a dream » de Martin Luther King. Chaque mot dans cette prose révèle graduellement ses batailles : l’amour des mots, de la langue française, du sens de l’observation et de la liberté, surtout de la liberté du Québec face au giron fédéral. En d’autres termes, il se bat pour que cette province francophone soit indépendante du reste du Canada.
Maka Kotto gravit les échelons en devenant le Président du caucus du Parti québécois car la totalité de ses paires a considéré qu’il a l’étoffe d’un être respectueux ayant une écoute attentive. Malgré cela, il reste une force tranquille qui n’a nul besoin de le crier à la planète entière. Ça tombe bien puisque en même temps endosser une telle responsabilité implique qu’il faut être « un diplomate, une personne dotée d’une approche équitable pour l’intérêt de chaque membre et de tous. »
Sa venue en politique « n’est pas un plan de carrière ». Il a une proposition de taille : l’ancien Premier ministre Bernard Landry lui propose de s’impliquer en politique de manière plus active en allant rejoindre les rangs du Bloc québécois au niveau fédéral. En même temps dans le cadre de ses tournages cinématographiques jusqu’au Canada, cet humaniste du collège des jésuites est sollicité par des hommes et femmes qui le considèrent comme « un artiste engagé qui peut avoir un grand impact en politique ».
Son arrivée dans la province francophone est également justifiée par sa fascination pour l’humain au sens collectif. Selon lui, « le Québécois dit « de souche » est un Africain à la peau blanche » dans ce sens qu’il est ouvert, spontané, accueillant, chaleureux, aimant faire la fête de façon sincère. Et au Cameroun, il avait fait le même constat de ses compatriotes.
« Je ne regarde pas derrière. J’avance. »
Très doué pour s’adapter à tout environnement, l’homme politique n’a pas besoin de gants pour affirmer une vérité qu’il trouve fondamentale à ses yeux : « Je ne suis pas un modèle d’immigration ». Pas de confusion, on se calme ! L’étonnante déclaration du député s’explique par le fait que chez les jésuites il a été programmé pour vivre n’importe où. Vu la diversité qui y règne, les collégiens apprennent à s’accepter malgré leurs différences. Aussi, son travail d’acteur l’amène souvent à séjourner au Québec ce qui facilitera son acclimatation au pays de Gilles Vigneault. Il n’a pas du tout galéré pour s’adapter aux Québécois. Cela va sans dire puisqu’il est marié à Madame Caroline Saint-Hilaire, son ancienne collègue de la Chambre des communes et depuis les élections municipales de 2009 mairesse de Longueuil.
Lorsque le député de Bourget plonge dans la façon dont il voit le Québec, c’est avec une certaine franchise qu’il y laisse ses impressions. À son avis, « le Québec est un laboratoire humain, une dynamique interculturelle qui est encore à enrichir, qui n’est pas fermée, une place neuve et propice à la réussite malgré encore les débats qui peuvent parfois diviser, mais qui au bout du compte aboutissent à des consensus parce que c’est un peuple de consensus…où il est permis à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice sans être jugé sur la base de sa couleur de peau, ses origines ou sa religion quand celle-ci ne remet pas en question les valeurs démocratiques qui nous animent. » Maka Kotto estime que voir les immigrants surqualifiés occuper des emplois dont les compétences requises sont inférieures à ce qu’ils possèdent est un enjeu important, « fondamental » même considérant que jusqu’à présent « le Québec a un système d’immigration qui consiste à accepter des immigrants sur la base de leur compétences, leurs formations sans jamais s’assurer qu’en arrivant ils trouveraient un emploi » à leur hauteur. Par contre, comme son ancienne collègue Diane De Courcy, il est séduit par les modèles d’immigration australiens et nouvelle-zélandais. Le principe de ces modèles étrangers étant de traiter en ligne et de façon personnalisée les dossiers de tous les candidats à l’immigration sur la base de tous leurs intérêts et en priorisant la formation et l’intégration linguistique.
On devine également chez cet homme engagé une certaine volonté d’inciter les immigrants ayant des aspirations de se lancer en politique d’écouter d’abord leurs passions, de ne pas calculer sinon « juste être soi et entièrement dévoué à sa cause ». Ensuite de se donner les raisons d’y aller. Car en ce qui le concerne, au Collège Libermann, il a été conditionné dès son plus jeune âge à contribuer de façon positive à l’humanité.
Il est clair et précis que ce n’est pas toujours une tâche facile que d’évoquer tous les exploits d’une personnalité aussi bourrée de talents que le député de Bourget et pourtant, il se trouve à un point où il ne se rappelle pas toute cette énumération de succès parce que « Je ne regarde pas derrière. J’avance. » dit-il imperturbablement. N’est-ce pas également la philosophie de ceux qui s’agrippent sur la justesse de leurs causes, qui en cherchent la légitimité et les défendent ? L’inspiration de Maka Kotto vient de tout ce qui l’entoure : ses collaborateurs, ses amis, sa famille, tout le monde, même les gens de l’ombre au même titre que ceux médiatisés.
Nom de code : Léopold-Marcel Maka Kotto. Maka Kotto signifiant « barrière de charbon ardent » ou « marquer ses distances ». Que ce soit l’un ou l’autre, l’homme politique engagé trouve dans son identité une part extrêmement importante de la passion politique tranquille qui l’enveloppe. Ainsi, il dit « ne pas fermer la porte à sa carrière d’artiste car ce fut là où tout commença ». Et que « pour le moment, je vis une expérience humaine très enrichissante en politique ». Par extension, qu’il le veuille ou non, il est devenu une figure de l’intégration qui ose et qui choisit ses batailles avec grâce donnant la priorité à l’engagement. Le député de Bourget est de ceux qui semblent rappeler que dans l’existence, il est difficile de séparer la liberté, l’humanisme, la justice et la vie. La vie qui accouche d’un espace d’échange et de respect. Il vit dans le moment. Et quand il y a de la vie, il y a de l’espoir. Maka Kotto est.
Quelques pépites sur Maka Kotto
- Votre plat préféré lors de votre séjour au Cameroun : Le poisson braisé avec les bâtons de manioc.
- Êtes-vous thé ou café : Café.
- Selon vous quel est le plus beau coin du Québec : Il y en a tellement. Je dirais l’Estrie pour son automne et ses couleurs. La Malbaie aussi.
- Le plus beau coin du Cameroun : L’Ouest du Cameroun.
- Le trait de caractère qui vous reste aujourd’hui si vous vous définiriez comme Camerounais : J’aime rire aux éclats.
- À part vous-même, qui voudriez-vous être : Une entité qui voyage à travers le temps.
- C’est quoi le plus important pour vous, l’habit qui vous habille ou votre personnalité : Ma personnalité, mes valeurs.
- Vos auteurs préférés : Dany Laferrière, Victor Hugo, William Shakespeare, Michel Tremblay, Mongo Béti, Eugène Ionesco avec qui j ai travaillé d ailleurs, Léopold Cedar Senghor, Amadou Hampâté Bâ, Cheik Anta Diop pour ne citer que ceux-là.
- Vous avez tenu le rôle de Bouba dans l’adaptation cinématographique du livre de Dany Laferrière « Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer ». Avez-vous trouvé la réponse du comment : (Éclats de rires, puis se reprend). Dany avait une réponse toute faite, c’était : « il faut se laisser faire. »
- Que diriez-vous pour conclure cet entretien : C’est agréable comme entretien parce que les questions étaient variées, mais profondes. Même celles que vous considériez légères avaient un sens qui résonnaient dans mon esprit.
Bravo !
Merci chef !