« Ils savaient maintenant que s’il est une chose qu’on puisse désirer toujours et obtenir quelquefois, c’est la tendresse humaine. » – Albert Camus, « La Peste » (1947)
Il y a des lettres pour chaque colère et chaque bonheur. Ces mots d’Albert Camus peuvent s’avérer vains pour certains, mais je m’indigne parce que nous sommes des Humains (rien que ça?!) Aussi, parce que quand la colère jaillit d’une manière impétueuse au sein de nos vies, alors la seule chose qu’on sollicite à ce moment est que cette amertume cesse pour que prenne place le calme. D’ailleurs l’Illustre et intarissable Camus le dit si bien « La seule chose qui ait vraiment de la valeur est la Paix. »
Ce bout de texte ne prétend pas détenir la vérité. Il témoigne du questionnement et du doute sur la grandeur de l’Homme.
En rentrant de l’épicerie l’autre jour, j’ai eu le privilège de tomber sur deux jolies fillettes au coin d’un petit carrefour. Il y avait tellement d’Amour dans ce que l’une des deux faisait : la plus jeune, probablement sept ans, dessinait des petits coeurs sur le goudron.
Cette petite fille, appelons-la Cyrielle.
Je me suis arrêtée pour observer Cyrielle pendant quelques minutes en ces temps de pandémie. Voyant ces coeurs au sol, cette innocence qui semblait cogner à la bonne porte, ces petites mains dessinant l’Amour, je vous avoue que je me suis souvenue de toutes ces petites filles, ces petits garçons et même ces adultes qui pensent encore que l’Amour est un mot choisi parmi tant d’autres et qui demande une certaine force, ou plutôt une force certaine pour pouvoir dire : Je t’Aime.
Un mot dont on préfère en être prisonnier malgré son coté parfois tumultueux, et même si son homologue la Haine s’arroge certaines prétentions et une propension à l’obscurantisme, à la violence, au meurtre. Celui de Georges Floyd bloqué au sol, au milieu d’une atrocité insoutenable orchestrée sous une lumière à la froideur implacable. Un désarroi, un supplice. Supplice pour lui, pour sa famille, pour ses amis, pour ses enfants (s’il en avait), pour les spectateurs, pour un être humain.

Et sur le visage de cet homme immobile au sol, on voit clairement qu’il a de la peine à respirer à cause du genou de l’homme en tenue mettant au défi ses cervicales et comprimant sa carotide. « Je ne peux plus respirer… », voilà l’une des phrases que prononce la victime lors de cette scène.
À un moment de votre vie, vous avez peut-être déjà été victime des valses, de l’inculture, de l’ignorance de ces individus portant fièrement le manteau de cette force traitresse qu’ils aiment tant : la Haine.
« Quand une guerre éclate, les gens disent : ça ne durera pas, c’est trop bête. Et sans doute, une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer. » Albert Camus – La Peste
Des scènes comme celle-là, il y en a depuis toujours. On en a tant l’habitude. Mais ce qui heurte ici, c’est la chosification et la banalisation de l’Être Humain. Ce dernier, pourtant, étant tenu par le même souffle de vie que son bourreau.
Des deux personnages, qui est le créateur de l’autre ? Qui a le pouvoir de créer une vie humaine ? De la mignonne rencontre entre les spermatozoïdes et les ovules de nos parents, ayant pris un plaisir géant de nous faire venir au monde, sont nées nos bouilles. Mais même après cette chaleureuse lune de miel en dépit des années, l’on est quand même enclin à se demander sans fin, pour reprendre Paul Gauguin à partir d’une de ces célèbres peintures : D’OÙ VENONS-NOUS ? QUI SOMMES-NOUS ? OÙ ALLONS-NOUS ?
Je suis partagée entre d’un côté détester le goudron sur lequel la petite Cyrielle dessinait et de l’autre aimer ses coeurs. En réalité suis fascinée par les deux. Le goudron représentant l’insensibilité, la froideur du coeur humain qui devient tout à coup doux, accueillant, moins brûlant grâce aux coeurs que pose Cyrielle sur lui à l’aide de sa petite craie rose à la main.
Puis étrangement, Cyrielle et sa soeur se trouvaient devant une lunetterie attendant sûrement leurs parents qui étaient à l’intérieur. Une lunetterie, drôlement représentée par l’incapacité de l’Homme à voir, à pédaler sur les roues de sentiments nobles qui, plus que jamais, peinent à guérir ce monde. Ce qui offense davantage est que les passionnés du pessimisme mettent des efforts incroyables et surhumains pour véhiculer les croyances voulant qu’Aimer (amour fraternel, amical ou entre conjoints) est imbécile, ignare, rêveur et enfantin.
Au fait, il fait très beau à l’extérieur mais la nature se moque bien de nos humeurs. Elle est bien plus belle encore.
« Ce qui me semble caractériser le mieux cette époque, c’est la séparation. Tous furent séparés du reste du monde, de ceux qu’ils aimaient ou de leurs habitudes. Et dans cette retraite ils furent forcés, ceux qui le pouvaient, à méditer, les autres à vivre une vie d’animal traqué. En somme, il n’y avait pas de milieu ». – Albert Camus, Carnets II (1942−1951)
Noirs, Blancs, Métis, Mauves, Roses, tout ce que l’on veut, gagneraient énormément s’ils essayaient de comprendre que les Droits et Libertés Humains doivent se développer et non régresser. Ce n’est pas moi qui le dis mais les rides du temps auquel les ancêtres ont payé cher pour paver le chemin de ces droits et libertés-là tout simplement aux avantages du Vivant. Au mépris de ce qui précède, que les désintéressés ne viennent pas présenter leur belle pièce de théâtre à la période du « si je savais. »
L’acceptation de la diversité des couleurs de peau est un défi auquel l’être humain n’a apparemment pas obtenu 20/20 comme note, même pas un petit 18⁄20 (une petite bouffée d’oxygène enfantine et rigolote ne fera de mal à personne.) De même, il existe un nombre considérable de suggestions pour se prendre moins au sérieux, comme cette petite Cyrielle s’y attèle naïvement. En voici la plus simple : chaque jour que l’on lèvera les yeux au ciel pour admirer et embrasser les couleurs multiples de l’arc-en-ciel, l’on pourra désormais se dire qu’au moins c’est une porte d’entrée à l’acceptation des autres, des différences, des phénomènes et réalités qui dépassent encore l’entendement humain.
Le temps passe et ses batteries se fatiguent devant cette marre de traumatismes humains.
« Aux heures où l’on se sent le plus misérable, il n’y a que la force de l’amour qui puisse sauver de tout ». – Albert Camus à Maria Casarès, 31 juillet 1948
Un jour, peut-être. Un jour, qui sait, la volonté générale agira sur son nid diamanté et en or Noir et Blanc.